Dans les déserts d’Arabie


                Ainsi donc, à l’aube de l’ère chrétienne, aucun cheval ne court encore à travers les déserts d’Arabie, aucun Arabe ne s’est encore laissé séduire par l’ivresse des chevauchées. Un siècle après, tout a changé. Aux alentours de l’an 150 régnait au Yémen un prince nommé Mozaykiya, de la tribu des Azdites, qui avait usurpé le pouvoir. A cette époque se rompit la fameuse digue de Marib qui assurait une bonne répartition des eaux, donc la prospérité du pays, ce qui provoqua une émigration vers le nord. C’est alors, selon un chroniqueur, que Mozaykiya conseilla aux hommes de sa tribu « qui aimaient les chevaux » de se rendre en Mésopotamie, où il y en avait d’excellents. Inconnu.cent ans plus tôt, le cheval, dans l’intervalle, était donc descendu jusqu’à l’Arabie du Sud.

               Venu d’où ? On l’ignore. Peut-être de Mésopotamie, précisément, ou d’Arabie Pétrée. Toujours est-il que les Azdites, conduits par Malik, un de leurs princes, allèrent se fixer dans la riche région de Hira, au sud du moyen Euphrate, non loin de la future Koufa, où ils fondèrent un Etat qui durerait jusqu’au VIe siècle. Et l’on replonge alors dans le mythe. Suivant une légende populaire, la tribu des Azdites avait jadis fourni une escorte à la reine de Saba lorsqu’elle rendit visite à Salomon. Et le roi, pour faciliter le retour de ces hommes, leur aurait offert un cheval qui les aiderait à chasser dans le désert. Grâce à lui, poursuit le chroniqueur, Ils ne manquèrent pas de nourriture, aussi l’appelèrent-ils Zad er Rakib, la providence des cavaliers. Sa réputation étant venue aux oreilles des bédouins Taghlibites, qui disposaient de juments, ceux-ci sollicitèrent pour l’une d’elles la saillie du cheval. Ainsi serait né Hodjeis, père de la race arabe.

Carte de l'Arabie de Burckhardt.


               Ce récit poétique, évidemment, ne repose sur rien. Salomon vivait quelque mille ans avant l’époque dont nous parlons. Il est vrai, en revanche, que les Azdites jouèrent un grand rôle dans la « promotion » du cheval arabe. D’où l’allusion, hautement symbolique, au roi de Jérusalem, à l’élevage réputé, et dont le Coran lui-même, à la sourate 38, évoque l’amour qu’il portait aux chevaux.

               De fait, le royaume de Hira, fondé par les Azdites, va servir de relais, à partir du IIIe siècle, aux forces arabes en mouvement. Raids en Mésopotamie, en Syrie et jusqu’en Azerbaïdjan, migrations, luttes fratricides entre tribus, mettent le monde bédouin en contact avec ces chevaux dont l’élevage — quoique difficile en région désertique — ne cessera néanmoins de se développer, concurremment avec celui du chameau. Aux animaux venus de Mésopotamie s’en ajouteront d’autres issus de Syrie et d’Asie mineure. Près d’Antioche, dans la vallée de l’Oronte, on élevait alors une race dite apaméenne, marquée par des influences grecques. Plus au nord, en Cappadoce, en Phrygie, prospéraient des chevaux jadis importés par les Hittites, qui les tenaient eux-mêmes des Mittaniens, autre peuple indo-européen réputé pour la qualité de ses dresseurs. Au IVe siècle, quand l’empereur byzantin Constance II, fils de Constantin, rechercha l’alliance du Yémen contre les Perses, il envoya à son roi, Marthad, une députation conduite par l’évêque indien Théophile ; parmi ses présents figuraient deux cents chevaux de Cappadoce.

              De ce moment, en ces premiers siècles de notre ère où se bouleverse, de la mer Noire à l’océan Indien, le visage du Moyen-Orient, un seuil décisif a été franchi ; avec des éléments de provenance diverse, mais de types voisins, dans les rudes conditions de la vie nomade, en pays semi-désertique, commence de se forger le cheval arabe. Mais pour mieux comprendre ses qualités, considérons d’abord cet environnement.

              Située au milieu de la zone désertique qui va de l’Atlantique à la Chine, la péninsule arabique se présente comme un vaste plateau quadrangulaire incliné en pente douce vers le nord et l’est. C’est le long de la mer Rouge qu’elle est la plus élevée : Hedjaz, Yémen culminent à 2 000 m, Hadramaout, plus au sud, à 2 400 m ; isolé, le système montagneux de la presqu’île d’Oman atteint même 3 000 mètres.

              Au nord-ouest de la péninsule, le massif du Sinaï (2 800 m), barrière climatique, s’oppose à l’arrivée de l’air humide méditerranéen. De même, les hauteurs du sud font obstacle aux moussons de l’océan Indien. C’est pourquoi, en dehors des zones littorales bénéficiant d’une atmosphère humide et d’un Sud-Ouest très fertile — l’Arabie heureuse —, le pays, dans l’ensemble, est sec et pauvre. Les déserts de sable du Dahna et du Rubl el Khali au sud, du Nefoud au nord, sont séparés par le plateau pierreux du Nedj avec, sur sa bordure septentrionale, le djebel Chammar. Bien que les précipitations ne soient pas nulles dans le Nedj, elles ne suffisent pas à alimenter des cours d’eau permanents ; dans les vallées, les oueds sont souvent à sec. La végétation, faite d’une grande herbe à touffes assez nourrissante, se raréfie en été ; mais les racines d’un arbuste, le ghada, contiennent une lymphe qui apaise la soif. Autour des points d’eau poussent des palmiers dattiers.

              La faune sauvage, composée d’antilopes, de gazelles, d’autruches, de bouquetins, doit s’accommoder, en Arabie intérieure, d’extrêmes différences de température entre la nuit et le jour. Si la frange occidentale de la péninsule se prête à des cultures variées de fruits et de plantes aromatiques, et à diverses productions animales, à l'intérieur seul le nomadisme permet l’élevage des chameaux et des chevaux. Aussi, la population ne se sédentarisera guère que dans le Hedjaz et au Yémen.

             L’important est de noter qu’il n’y a pas de solution de continuité entre les déserts ou semi-déserts d’Arabie, de Jordanie, de Syrie et d’Irak. Dans cette vaste zone où il échappait à la tutelle des grands empires, le peuple arabe se sentait fier et libre.

Au début de notre ère, le pouvoir romain s’exerçait sur la Syrie côtière et sur la Palestine, mais s’arrêtait aux portes du désert. Au nord-est, le pouvoir iranien des Parthes, puis des Sassanides, s’étendait à la Mésopotamie. Mais il ne s’exerçait au sud de l’Euphrate que par l’intermédiaire du royaume de Hira (llle-Vlle siècles), mi-vassal de la Perse, mi-autonome, et célèbre par sa cour brillante ; on y mettra au point l’écriture arabe et la garde montée du souverain se composait par moitiés d’iraniens et d’Arabes.

N.B : Ceci est un extrait gratuit du livre " Le cheval arabe des origines à nos jours " de Philippe Barbié de Préaudeau, les éditions du Jaguar 1987, ceci n'est ni une adaptation ni une reproduction. 

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